CNDPF Paris 2013
« Nous jouons des rôles dans une pièce que nous n’avons jamais lue ni jamais vue, dont nous ne connaissons pas l’intrigue1… »
La sociologie de la famille, lorsqu’elle croise un regard historique, nous apprend à regarder la famille comme une réalité à la fois durable, instable et complexe.
Réalité durable à cause de sa permanence à travers l’histoire de l’humanité.
Réalité instable, non pas tellement parce que, dans une époque donnée, on divorce plus que dans une autre mais parce que ce qui structure cet ensemble humain que l’on nomme famille, unité familiale, a changé, change et changera sans doute encore, nous allons essayer de voir comment. Mon but n’est pas de dire ce que doit être la famille… De quel droit, avec quelle légitimité pourrais-je le faire ? Mon but est seulement de regarder ce qu’elle est, pour essayer de comprendre et d’accompagner, peut-être, les familles dans les difficultés – parfois majeures – qu’elles rencontrent.
Réalité complexe aussi parce que la famille c’est à la fois une structure sociale dans laquelle, tous, à notre manière nous sommes impliqués et un modèle de pensée, un modèle culturel, idéologique qui structure notre rapport au monde depuis la nuit des temps.
La mythologie grecque, par exemple, peut-être lue ou relue comme un entrelacs extraordinaire de relations familiales. Tout y est, le meilleur et le pire : L’amour, la haine, le meurtre, la vie, l’enfantement, l’inceste, le conflit, la jalousie, la colère, la révolte, la soumission, le mensonge, la séduction, la beauté que sais-je encore ?
De CRONOS (fils du ciel : OURANOS et de la terre : GAIA) qui épouse sa sœur RHEA et dévore ses propres enfants, à ZEUS, son fils rescapé qui devient maître du ciel et épouse METIS, la prudence, puis THEMIS, puis EURYNOMÉ, puis la sœur de celle-ci : DÉMÉTER, puis MNEMOSYME (la mémoire) puis LETO, puis HERA… Soit ! De toutes ces unions naquirent des fils et filles… sans compter ceux qui naquirent de l’union de ZEUS et de ses maîtresses… Bref, une véritable histoire de famille comme on les connaît aujourd’hui, famille composée, décomposée, recomposée, … demi-frères et sœurs, parentèle dans laquelle chacun a bien du mal à se retrouver. Il faudrait parler d’ŒDIPE qui tue son père et épouse JOCASTE sa mère avec qui il consomme l’inceste… etc.
L’ancien Testament, autre récit fondateur s’il en est, ne nous raconte pas autre chose que des histoires, mythiques, on le comprend bien, d’un couple et de leurs enfants : ADAM et EVE eurent deux fils, CAIN et ABEL… Que croyez-vous qu’il arriva ? Caïn tua Abel, alors Adam et Eve eurent un autre fils, quand Adam eut 130 ans. Il l’appela SETH, SETH engendra ENOSH qui engendra QENÂN… et j’en passe jusqu’à MATHULASEM qui mourut à 969 ans et qui n’est autre que le grand-père de Noé, de qui ABRAHAM descend en ligne directe. ABRAHAM, père d’ISAAC, donc grand-père de JACOB qui lui-même eut quelques « histoires de famille » avec son frère, ESAÜ, etc.…
Bref, nous sommes tous, sans doute, des enfants d’ABRAHAM… histoires de familles, tout cela…
La sainte famille…
Le nouveau Testament, quant à lui, fait naître un enfant dans des conditions un peu particulières je vous l’accorde, et lui constitue aussitôt une famille, une « Sainte famille » qui mérite qu’on la considère un instant tant elle est figure fondatrice, parmi d’autres, mais figure emblématique de ce que les psychanalystes appelleront bien plus tard la triangulation oedipienne :
« Le Père… il n’est pas, il est celui que l’on dit être… celui qui est reconnu comme tel par la Mère ».2
« La Mère… est celle qui enfante » mais présente ou absente, « l’important est que la mère soit celle qui regarde et qui parle, qui entende et qui demande, qui inscrive et qui souscrive ».3
De la « Sainte famille », à la famille modèle il n’y a qu’un pas, la famille plonge, on le voit, ses racines dans les mythes fondateurs de nos cultures… Quoi d’étonnant alors à ce que chacun dans nos propres familles nous construisions des mythes familiaux aux quels s’accordent ou se désaccordent nos histoires personnelles.
Nous vivons dans une société où tout change et où tout change vite. C’est désormais banal de dire cela, on le sait, mais cela à une conséquence intéressante et qui nous concerne : quand tout change, on manque de repères, on se croit perdu, on croit que l’on a tout perdu parce que l’on ne retrouve plus les modèles à partir desquels nous étions habitués à penser le monde. Alors nous sommes très vite prêts à croire que tout est perdu, que « Tout fout le camp, la religion se perd, y’a plus de bon pain, y’a plus de valeurs, et la famille alors ! »
Et voilà, s’agissant de la famille, les modèles avec lesquels nous avons grandi sont en train de finir d’exploser, ou du moins de se transformer et, du coup, nous ne reconnaissons plus la famille. Ne la reconnaissant plus, nous sommes prêts à croire qu’elle a disparu.
Sans doute est-il plus intéressant d’essayer de comprendre que la famille s’est transformée, diversifiée, qu’elle se transforme encore, qu’elle n’a pas fini de changer et que nous ne pourrons comprendre « ce qui fait famille aujourd’hui », comment s’agencent les rapports entre les générations et la place des uns et des autres dans ces nouvelles constructions familiales qu’à condition de regarder d’abord ces transformations.
La famille ou les familles ?
Il nous faut désormais apprendre à écrire « familles » au pluriel4. En effet, il n’existe plus un modèle, une forme unique de famille, (a-t-elle d’ailleurs existé ailleurs que dans la représentation fantasmatique que nous nous en faisons ?) mais des réalités familiales multiples. Elles intègrent des modèles antérieurs, s’en démarquent aussi, et intègrent également des modèles culturels venus d’ailleurs qui pénètrent et transforment nos réalités familiales. Sans compter les formidables différences économiques, culturelles, différences de dimension, de composition, de pérennité, etc.
Des familles donc, et non pas la famille. D’ailleurs de laquelle parlerions-nous ? La vôtre ? La mienne ? Celle d’où nous venons? Celle que nous avons fondée ? Celle que, peut-être, nous avons perdue ou « refaite » ? Toutes ces familles remplissent des fonctions partiellement identiques mais diffèrent dans leurs histoires, leurs compositions, leurs statuts juridiques, leurs ressources, etc.
On peut cependant, au cours de la seconde moitié du 20e siècle repérer, avec la transformation sociétale globale une formidable transformation des structures familiales : En effet, pour comprendre l’évolution de la structure de la famille, il nous faut la relier à d’autres évolutions et en particulier à l’évolution des modes de production. Dans une société caractérisée par sa ruralité c’est, par conséquent, à l’évolution des modes de production agricole qu’il faut relier cette évolution.
De la famille indivise à la famille nucléaire
Lorsque la production agricole est artisanale (fermière) paysanne, à dominante manuelle, pour produire beaucoup, sous l’autorité du patriarche, il faut beaucoup de bras. On garde donc comme ressource productrice ou potentiellement productrice le plus grand nombre possible de membres de la famille. Elle est alors indivise (ou clanique) et cela verticalement : le patriarche et son épouse avec les deux générations descendantes, et horizontalement : le plus grand nombre possible de collatéraux cohabitent pour produire ensemble.
Placée sous la férule de la « puissance » paternelle, la famille est nombreuse, indivise, cimentée par le travail, et les valeurs de l’époque. Cette famille là est le lieu paradoxal où se forgent à la fois les « histoires de famille », douloureuses souvent, et une sorte de mythe familial en référence auquel on continue, aujourd’hui encore, à « penser famille »…famille idéalisée, famille modèle, modèle de famille comme nous le disions plus haut…
Pourtant, à partir des années 60, il va falloir mécaniser la production agricole (Construction Européenne oblige). Il va falloir, par conséquent, acquérir les objets, les outils qui deviendront emblématiques de la mécanisation : le tracteur et la moissonneuse ! Et pour cela il faudra emprunter, s’endetter ! Révolution culturelle ! Qui peut emprunter ? Le patriarche ? Trop vieux, il n’aurait pas le temps de rembourser même à des organismes de prêts qui se sont voulus mutualistes. Il devra donc « passer la main » à l’un de ses fils qui va devenir « exploitant agricole ». La logique change et s’inverse rapidement : pour produire rentablement, il ne faut plus être nombreux, il faut faire tourner les machines et pour cela, le savoir-faire du patriarche est bien inutile… Il n’y a plus besoin que de quelques bras. Les vieux se retirent… et les collatéraux partent en ville (exode rural) il y a du travail à l’usine. Ils logeront provisoirement, pensent-ils, dans des habitations à loyer modéré qu’ils rebaptisent « cages à lapins », on ne renie pas ses origines.
La famille indivise s’est segmentée ou plutôt a été segmentée en une multitude d’unités familiales plus petites, composées d’un couple et de ses enfants c’est tout. La famille indivise a laissé la place à la famille nucléaire. Elle s’est appauvrie verticalement et horizontalement. Il nous faut noter au passage que la place des plus âgés s’en trouve très profondément modifiée. Non pas que la famille les ait abandonnés, comme on le dit souvent, mais simplement que le statut et le rôle qui étaient les leurs s’effondrent de façon brutale.
De la famille nucléaire à la famille incertaine.
Tout s’accélère désormais : campagne ou pas, tout le monde regarde la même télévision. « Dallas » s’impose dans tous les foyers… Les mêmes modèles de pensée et les mêmes modes de vie se diffusent partout dans la société.
La production agricole mécanisée sera bientôt industrialisée, elle produira la situation et, parfois, les folies que l’on sait ; les producteurs seront de moins en moins nombreux ; leur activité sera de plus en plus administrée de loin, jusqu’à ce qu’une « programmation » à la fois politique, économique et informatique la régisse.
Et la famille ? Le couple et ses deux enfants expérimentent ce modèle « simplifié » : la famille conjugale ou nucléaire. Tout a l’apparence d’un bonheur simple et pourtant… Avec la réduction à son noyau la famille se fragilise. La pression sociale et morale qui assurait, bon gré mal gré sa cohésion, s’estompe et le risque « d’explosion » grandit. Le couple éclate, la famille telle qu’on la concevait vole en morceaux et l’on invente cette formule réduite de la famille que l’on dit monoparentale, famille réduite à sa plus simple expression.
A-t-on raison d’ailleurs de parler de famille monoparentale ? Ne devrait-on pas parler plutôt de familles bifocales, familles à deux foyers, tant il est vrai qu’il y a toujours deux parents pour qu’il y ait eu naissance d’un enfant. Il y a bi parentalité pour 93% des enfants. Cet enfant se trouve effectivement en tension entre deux foyers entre lesquels il circule, deux couples parentaux, deux fratries ou pseudo fratries. Lorsque l’un des parents est seul ne devrait-on pas parler de foyer monoparental plutôt que de famille monoparentale ?
Cette famille pourtant va se refaire, « se recomposer » comme on dit. Les parents, divorcés, vont recomposer des couples et y faire vivre – pour combien de temps ? – leurs enfants issus du précédent mariage et ceux, éventuels, issus de la nouvelle union. En France, actuellement, au moins un enfant sur cinq vit avec un seul de ses deux parents. « Famille incertaine » dit Louis ROUSSEL5. Incertitude en effet, relative au statut, à la durée, à la nature du lien familial, à la structure de la famille…
De la famille incertaine à la famille virtuelle, aléatoire…
La famille va vivre avec cette incertitude et finalement l’apprivoiser ou du moins l’intégrer. Au point qu’une nouvelle forme familiale semble émerger : je l’appelle famille virtuelle, voire aléatoire, elle se construit en application du modèle technologique provisoirement dominant : le modèle du réseau : famille virtuelle, famille réseau, en réseau, « famille Internet » !
En effet, la puissance du patriarche a vécu ; l’autorité paternelle est devenue parentale; le couple s’est défait et s’est recomposé, plaçant l’enfant au cœur d’un gigantesque réseau – virtuel – familial qu’il peut éventuellement mobiliser. La famille n’a jamais été aussi étendue, potentiellement étendue, virtuellement sans limites. La nature des relations familiales en est aujourd’hui bouleversée, et tend à se conformer au modèle technologique dominant : le réseau et la connexion. Vous êtes connecté ou vous ne l’êtes pas ! Les réunions de familles se font désormais sur un site et non en un lieu, dans une maison de famille devenue virtuelle…
La naissance est annoncée sur Internet : Facebook, et autres réseaux sociaux…
La mémoire des morts est d’ailleurs honorée, de la même manière, sur un site6, dans un cimetière virtuel, les cendres ayant été dispersées, partout… Nulle part…
Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ?
Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, ce qui structurait et soudait l’unité familiale a changé et continue à changer avec nous, malgré nous, mais nous sommes désormais impliqués dans des organisations familiales qui se structurent sur de nouvelles bases :
– Le « toit » faisait la famille. Il y a longtemps que la famille ne tient plus à l’unité d’habitation. La décohabitation entre les générations est pratiquement devenue la règle et, même, elle n’est plus rare à l’intérieur du couple qui, parfois, ne met en commun qu’une partie du temps, soit pour des contraintes professionnelles soit par peur de l’usure de la vie commune, soit pour préserver une zone spécifique aux enfants issus d’un couple antérieur etc.
– Le « nom » faisait famille. On était du même sang, on portait le même nom. Fierté, parfois ou gêne, au contraire, mais le nom (que l’on tenait du père et, par conséquent, du grand-père) scellait l’unité familiale, disait la descendance, la transmission, la lignée. Les noms sont multiples, (ils le seront sans doute de plus en plus, la loi le permet désormais) et ne disent plus grand chose de la nature des relations entre ceux qui habitent ou non sous le même toit et se considèrent de la même famille.
– Le « droit » faisait famille. Droit coutumier ou droit formel, le contrat -de mariage- scellait l’unité familiale. Il y a déjà quelques temps que le mariage ne fait plus la famille, en tous cas n’est pas seul à la faire, et que le juge (des affaires familiales), en cas de conflit, remplace le contrat. (En 2005, 40 divorces pour 100 mariages.)
– Le « sang » faisait la famille. Aujourd’hui les sangs sont multiples, mélangés, métissés, plusieurs sangs se côtoient dans les mêmes unités familiales. L’autre manière de dire le lien du sang était de dire que l’on était ou non du même lit… L’expression un peu triviale a du mal à parler d’amour mais les amours sont multiples, les partenaires peuvent l’être aussi…
Au delà du toit, du nom, du contrat et du sang, ce qui fait famille est devenu le choix. Dans une famille tendanciellement élective, à provenances multiples, potentiellement, virtuellement indéfinie (et non pas réduite, comme on a souvent tendance à le croire) dans cette famille, je choisis de me relier à certains membres de ce réseau. Mais je ne peux me relier à tous, c’est tellement grand… Choisir c’est renoncer. Je ne me relie donc, bon gré, mal gré, qu’à quelques uns. Dans un réseau les connections sont toujours réversibles. Dans cette famille-là, elles le sont aussi ; les liens sont a priori réversibles et ils se défont à défaut d’être activés, entretenus, cultivés. Cette famille est devenue incertaine,7 instable, mouvante, virtuelle, presque aléatoire.
Les questions d’éducation sont ici immenses : comment apprendre à un enfant, à nos enfants et petits-enfants, à se relier aux autres ? A choisir les liens et à les cultiver ? A se relier aussi avec les plus faibles, les plus pauvres, les moins enviables, les plus vieux ? On sait depuis longtemps, avec plus ou moins de bonheur, imposer à un enfant une éducation à la contrainte, en tous cas par la contrainte, comment inventer l’éducation au choix, à la liberté vraie que nécessite cette nouvelle forme familiale ?
Sans doute faut-il souligner également quelques questions fondamentales qui trouvent, dans ces nouvelles formes familiales, des expressions elles aussi nouvelles : Qu’est-ce qu’être parent ? Père ou mère, quand le ciment conjugal a laissé la place au ciment filial ? L’enfant est placé au centre de la famille, c’est au tour de lui qu’elle se construit, c’est lui qui en fonde la durée ? Qu’en est-il de la parentalité, de la paternalité d’enfants que l’on n’a ni engendré ni adopté ? De la même manière qu’en est-il de la maternalité ? Qu’en est-il de la beau parentalité ? De l’homoparentalité ? Qu’est-ce que le lien de fraternité ? De quoi est-il fait s’il n’est fait ni de sang, ni de nom, ni même de toit ?
La loi du 17 mai 2013 ouvre désormais le mariage à des couples de même sexe, étendant ainsi, de fait, le statut de famille à des situations qui en étaient jusque là écartées. De nouvelles questions se posent alors quant à l’adoption d’enfants, l’assistance à la procréation, ou la gestation pour autrui… Décidément c’est bien ce qui fait famille qui se transforme.
Quand les familles se recomposent, sur le modèle du réseau, une constellation de membres potentiels de ce réseau se connecte ou se déconnecte, sur des logiques amoureuses, affectives, économiques, affinitaires, intéressées parfois, insoupçonnables souvent. Les ruptures de lien sont nombreuses, on le sait, on en souffre plus ou moins mais les liens nouveaux sont multiples, parfois durables, dans un univers familial caractérisé par l’éphémère et la réversibilité des situations.
Quatre à cinq générations, place des personnes âgées.
La structure familiale en réseau se complexifie encore si l’on y regarde les rapports intergénérationnels. En effet, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous voyons apparaître des édifices générationnels où se superposent quatre voire cinq générations :
-
l’aïeul 95 à 105 ans
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les grands-parents 75 à 85 ans
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les parents 50 à 60 ans
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les enfants 25 à 30 ans
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les petits-enfants 0 à 5 ans
Cinq générations avec lesquelles il nous faut apprendre à vivre… car si la volonté de développer les rapports entre les générations est évidemment sympathique, si idéologiquement, c’est une idée que l’on aime bien, il faut bien admettre pourtant que le contenu des relations, (contenu vrai, pas seulement déclaré) au-delà de trois générations n’est jamais gagné d’avance.
Par ailleurs, il faut développer une attention particulière à la génération « pivot » de cet édifice : celle de 50 à 60 ans… et en particulier à la femme de cette génération. C’est sur elle en effet que, pour des raisons essentiellement culturelles, repose l’édifice familial intergénérationnel. Elle donne sur tous les fronts dès que c’est nécessaire… certes elle donne volontiers, il ne faudrait pas pour autant que l’on en profite trop…
Quand les familles se recomposent, sur le modèle du réseau, une constellation de membres potentiels de ce réseau se connecte ou se déconnecte, sur des logiques amoureuses, affectives, économiques, affinitaires, intéressées parfois, insoupçonnables souvent. Les ruptures de lien sont nombreuses, on le sait, on en souffre plus ou moins mais les liens nouveaux sont multiples, parfois durables, dans un univers familial caractérisé par l’éphémère et la réversibilité des situations.
Sur cette « toile », se dessinent de nouvelles relations grand-parentales. De même que les parents sont de plus en plus nombreux à élever des enfants qu’ils n’ont pas « faits », du moins pas « faits ensemble », les grands-parents, de plus en plus nombreux, sont amenés, si l’on peut dire, à « adopter » des « petits-enfants » avec lesquels ils n’ont pas forcément de liens de parenté au sens où l’on comprenait, jusqu’à présent cette notion.
Il faut ajouter à cela les situations désormais fréquentes que l’on pourrait qualifier de « beau-grand-parentalité. » En effet, les recompositions familiales créent des situations où, à l’intérieur d’un couple recomposé, l’un des deux devient grand-parent alors que l’autre n’a aucun lien de parenté réelle avec le bébé qui vient de naître. Voici donc le second, invité, de fait, à nouer une relation de type grand-parental simplement parce que son conjoint devient grand-parent. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, qu’il accepte d’entrer sur cette scène-là, ne serait-ce que pour une question d’image de soi, d’âge ou de relation avec ses propres enfants qui peuvent être encore éloignés de la période où eux-mêmes vont avoir des enfants et vivraient assez mal de ne pas être, eux, à l’origine de ce nouveau statut de grands-parents pour leur propre père ou mère.
On imagine ainsi les conflits de loyauté qui peuvent être vécus par les « beaux-grands-parents » dans leur « dynamique familiale propre », celle qui n’est pas en commun avec le membre du nouveau couple qu’ils ont formé. Mais on peut aussi imaginer et observer, d’ailleurs, des relations très positives qui s’établissent dans ces ensembles familiaux complexes où les places, rôles, statuts et attributions de chacun sont à inventer.
Comment penser un lien qui libère plus qu’un lien qui entrave ?
« Familles ! Je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur. » André GIDE : Les nourritures terrestres.
A quoi Serge HEFEZ répond : Famille je vous HAIME !
Michel Billé. Sociologue.
1 Ronald LAING. « La politique de la famille » Ed. Stock 1972.
2 Bruno CASTETS : « La loi, l’enfant et la mort. » Ed. Fleurus, Coll. Pédagogie psychosociale.
3 Bruno CASTETS, Ibidem.
4 Michel Billé, « La chance de vieillir » Essai de gérontologie sociale, Ed. L’Harmattan, coll. La gérontologie en actes. Paris 2004.
5 Louis Roussel : « La famille incertaine » Ed. Odile Jacob, Paris. 1989.
6 www.lecimetiere.net/ou encore : www.lecimetiere.net/ www.imemoria.com/
7 Louis Roussel : « La famille incertaine. » Ed. Odile Jacob, Paris, 1989