Colloque ROUEN 29 septembre 2014
D’une part, ayant travaillé de nombreuses années en tant que thérapeute familiale dans un centre d’hébergement pour familles en grande difficultés sociales, psychologiques et financières, et d’autre part dans le cadre d’un service de médiation familiale à Caen, j’ai pris conscience qu’il fallait absolument, quel que soit le type d’accompagnement des familles, tenir compte de l’étape dans laquelle elle évolue.
Il faut comprendre que chacune des étapes du cycle de la vie familiale fragilise les relations de couple (divorce et séparation) ainsi que les relations intergénérationnelles entre les membres de la famille nucléaire et élargie.
La théorie systémique définit ainsi la famille :
La famille est un groupe de personnes reliées entre elles par des liens de nature légale ou biologique dont les relations sont définies au moyen de processus de communication interactionnel. Les personnes poursuivent ensemble des buts à la fois commun et individuels .Ces personnes sont régies dans leurs échanges par des règles de nature implicite et explicite, mises en place et maintenues par les membres du système qui exercent le pouvoir ; enfin chaque famille possède sa propre histoire constituée d’une série d’événements dotés d’un sens particulier en rapport avec les valeurs du système.
Toutes les familles traversent divers stades de développement au cours de leur histoire. Les principaux stades reconnus sont : le départ de la maison du jeune adulte célibataire, la formation du couple, l’arrivée des enfants, l’entrée des enfants dans l’adolescence, le départ des enfants de la famille, le vieillissement des parents.
A chacun de ces stades de développement, des réajustements doivent être faits dans les relations entre les membres la famille. Certains systèmes, plus rigides, vivent difficilement ces périodes de transition et ne trouvent pas une réponse adéquate face à l’exigence des changements.
Toutes les familles doivent donc tenter de les résoudre au fil de leur évolution afin d’assurer un fonctionnement familial optimal. Cependant, certaines familles rencontrent à un moment ou l’autre de leur histoire des difficultés à les franchir, celles-ci étant liées au processus de changement.
Les exigences de changement, même prévisibles et normatives peuvent donner naissance à toutes sortes de craintes, de peurs parce que les règles familiales, explicites et implicites, sont interrogées et ne semblent plus aussi fiables qu’auparavant. Ces craintes et ces peurs peuvent donner lieu à des sentiments et à des comportements tout à fait incompréhensibles, voire destructifs.
A chaque étape, la famille doit développer les compétences adaptatives nécessaires pour en affronter ultérieurement, d’autres souvent reliées et plus complexes.
La non-résolution de certaines d’entre elles rend la famille plus vulnérable pour l’avenir. Elle peut être associée à un dysfonctionnement familial croissant et à une probabilité plus élevée que la famille soit confrontée à des pathologies ou à des crises familiales sévères
Il est vrai que c’est durant les périodes de changements transitionnels, ceux qui induisent un stress adaptatif, que les crises familiales ont tendance à se manifester.
Principales étapes du cycle de vie familiale :
Pour vous guider, je vais commencer en prenant pour exemple le parcours d’un jeune qui quitte la maison. Nous allons le suivre lors des différentes étapes du cycle de la vie familiale et comprendre le processus émotionnel et les modifications dans les statuts familiaux qu’elles impliquent.
Première étape :
Ce jeune, nous allons l’appeler Pierre et imaginer qu’il part de la maison familiale. Pour Pierre, ce n’est pas si simple de quitter la maison dans laquelle il a été élevé, de quitter ses parents. Il peut ressentir un sentiment de liberté, d’autonomie et acquérir un statut d’adulte avec la disparition de l’autorité parentale Cependant il peut ressentir un sentiment de perte, de solitude, d’inquiétude, de plaisir, de soulagement.
C’est aussi le moment où il va devoir développer des relations plus intimes avec certains. Il va devoir développer des relations avec ses pairs. Il a un travail à faire sur un plan personnel pour arriver à une indépendance professionnelle et financière, ce qui n’est pas facile pour les jeunes, dans le climat socio-économique actuel. Ce jeune en construisant sa vie d’adulte doit faire face à de nouvelles responsabilités personnelles, émotionnelles et financières.
Deuxième étape
Continuons à suivre Pierre, nous pouvons imaginer qu’il rencontre l’amour et de ce fait, s’engage dans un nouveau système : le système conjugal.
En constituant ce nouveau système, il peut éprouver des sentiments contradictoires tels que du bonheur mais aussi de l’inquiétude. A cette étape, il a un travail à faire par rapport à sa famille d’origine et à ses parents pour y inclure la nouvelle conjointe. Le fait d’avoir une compagne peut créer des distensions dans sa famille d’origine, avec ses parents. Vous vous souvenez, des questions posées par les parents lorsqu’arrive le moment de présenter son futur ou sa future : « Que font ses parents ? Quelle est sa profession ? Est-ce qu’il a un appartement ? » Toutes ces questions entraînent un ajustement ou un réajustement avec les familles élargies et avec les parents. Lors de la création de ce nouveau couple, l’un ou l’autre de ses membres peut être dans l’obligation de perdre ses amis d’enfance, son meilleur copain, sa meilleur amie parce qu’il ou elle ne plaît pas au nouvel arrivant. « Ton copain, en dehors du foot, il est inintéressant, j’aimerais mieux que tu le voies moins. Tu fais trop la fête, donc je te demanderais de prendre tes distances car il ou elle a une très mauvaise influence sur toi. »
En ce qui concerne les parents de Pierre, ils doivent accepter la conjointe de leur fils et la famille d’origine de celle-ci.
Troisième étape
Même si la phase de vie en couple, sans enfant, est en progression, les enfants arrivent ! Praticienne de la médiation familiale depuis 20 ans, je reste stupéfaite, du pic de divorce ou de séparation juste avant ou après la naissance du premier enfant. Passer du système conjugal au système parental, reste extrêmement difficile et fragilise les relations conjugales du couple.
La naissance de ou des enfants obligent les parents à considérer leur accords sur l’organisation des tâches quotidiennes, des valeurs éducatives, des règles familiales et des responsabilités financières.
Quatrième étape
Ensuite, les enfants grandissent et une autre période va fragiliser les couples : la crise d’’adolescences. L’adolescence des enfants va modifier la relation parent-enfant La flexibilité des frontières du système familial est extrêmement interrogée à cette période.
L’adolescent interpelle aussi les choix fondamentaux de ses parents : les choix du conjoint, les choix spirituels, idéologiques, professionnels, etc.
Les adolescents et les jeunes adultes demeurent plus longtemps chez leurs parents et de ce fait, vivent leur relation amoureuse sous le toit familial. Ils vont alors réinterroger, par leur propre sexualité, la sexualité de leurs parents.
A cette même période, les parents subissent « la crise du milieu de vie », aux alentours de la quarantaine. Lors de cette crise, leurs choix fondamentaux sont remis en question.
Etre parents d’adolescents, c’est aussi se tourner vers la génération qui nous précède, c’est-à-dire ses propres parents quand ils sont souffrants, malades et qu’il est nécessaire d’en prendre soin.
Cinquième étape
Le départ des enfants fragilise les relations de couple. Le couple, qui a pu être un excellent couple parental, se retrouve en tête-à-tête. La dyade se reforme et à cette étape de vie de nombreux couples se séparent. La cessation d’activité, peut renforcer les difficultés du couple car la place et la fonction de chacun sont réinterrogées L’organisation de la vie, après le départ les enfants, demande au couple, beaucoup d’énergie.
Quand les couples parlent de leur vie, on perçoit très rapidement, qu’il y a un déficit de la communication entre les conjoints. En effet, les souvenirs, les perceptions, les représentations sont tellement différents, qu’ils entraînent des incompréhensions faisant le lit de leur séparation.
C’est aussi le moment où chacun doit se réajuster, apprendre de nouveaux rôles tel que le rôle de grands-parents. Il leur faut accepter l’arrivée de nouvelles personnes dans le système : les nouvelles conjointes, les nouveaux conjoints et la naissance des petits enfants. Ils doivent aussi se tourner vers la génération de leurs propres parents et palier leur infirmité, leur dépendance et parfois les accompagner vers la mort.
Il s’agit de la génération pivot : assumer à la fois les problèmes de la génération de nos ascendants et celle de nos descendants.
Les sexagénaires ne sont plus les aînés de la famille, ils en sont les pivots.
Sixième étape
Le couple dans sa dernière étape de vie
Les enfants, vis-à-vis de leurs parents devenus âgés voir dépendants, devront être attentifs aux :
– contraintes auxquelles la personne aînée est soumise en raison de la possible réduction de ses capacités physiques, intellectuelles ou mentales,
– modifications dans ses relations affectives, lesquelles s’inscrivent maintenant dans un rapport de dépendance plus ou moins prononcée avec ses proches. Il faut insister sur ce point car, plus que l’état lui-même, c’est le sentiment de dépendance, entretenu par une hypersensibilité à la façon dont est perçu le regard porté sur elle, qui connote douloureusement les relations aux autres;
-ruptures avec ce que l’environnement avait de sécurisant (départ du domicile, distance géographique et/ou relationnelle avec le réseau amical et le voisinage) ;
– tonalités de deuil qui accompagnent toute perte : en lien avec la séparation ou le décès du conjoint, le décès des frères et sœurs, des amis…, mais aussi en lien avec la place et le rôle qui sont désormais les siens au sein de la famille ;
– attitudes par rapport à la vie et par rapport à la mort, qui découlent en partie de ce qui précède et qui seront perceptible dans la façon de parler de sa vie, qu’elle soit résignée (je suis un fardeau) ou dynamique (j’ai envie de transmettre).
Pour le couple âgé, il est important qu’il puisse maintenir son fonctionnement et ses intérêts personnels et de couple malgré le déclin physiologique.
Il doit faire la place dans le système familial élargi, à la sagesse, à l’expérience des anciens, soutenir la génération
« Pivot » et transmettre à leurs descendants l’Histoire Familiale.
Conclusion
Les étapes sont moins institutionnalisées.
Les rites institutionnels qui scandaient naguère la vie prennent moins d’importance. Le mariage ne marque plus le début de la vie en couple, le divorce n’en marque plus la fin, la retraite n’est plus le signe de l’arrêt de l’activité. Des étapes privées et personnelles remplacent les étapes publiques.
Les étapes sont réversibles.
De nombreux exemples de cette réversibilité existent à tout âge.
Durant la jeunesse, certains jeunes retournent chez leurs parents après leurs études, ou après une expérience amoureuse ou professionnelle échouée
Durant la maturité, le divorce et le remariage sont des événements permettant de retourner à une situation précédente : le célibat, pour les divorcés sans enfant.
A la vieillesse, la remise en couple de personnes divorcées, ou plus souvent veuves, est aussi un retour à une situation de couple.
Il semble qu’on ne soit à aucun moment « installé » dans une position.
Cette multiplicité, des parcours qui s’individualisent, produit un « mélange » des positions. Il est aujourd’hui plus complexe qu’autrefois d’associer un rôle, un statut et une fonction en rapport avec l’âge ou la génération. Ce phénomène permet le développement de relations plus personnalisées, moins statutaires.
L’étude des différentes phases du cycle de vie nous mène à la conclusion que depuis plusieurs années, l’organisation typique, aussi bien objective que subjective, des étapes du cycle de la vie familiale, devient de moins en moins évidente. La multiplication des étapes et leur désinstitutionalisation, brouillent la perception de la position relative dans le cycle de vie, ce qui complexifie les rapports entre les générations, la hiérarchie traditionnelle étant plus difficile à mettre en œuvre.
Les individus moins soumis à des relations statutaires entretiennent de nouveaux types de relations. Celles-ci reposent sur l’équilibre entre la proximité affective et l’autonomie.
Marie THEAULT