Le Carrefour National des délégués aux prestations familiales (CNDPF) a organisé son forum national en septembre 2014 à Rouen. Le thème de cette année : La Mesure Judiciaire d’Aide à la gestion du Budget Familial, une mesure à quatre temps ? Celui de la famille, du droit, des partenaires, du changement …
Le temps de la mesure est en permanence confronté au temps de la famille, au temps des partenaires, au temps de l’urgence, au temps qui manque, au temps perdu, au temps de l’élaboration …
Comment conjuguer, articuler le temps de chacun dans la mise en œuvre de l’action éducative, de notre intervention dans le cadre de la protection de l’enfance ?
Pour y répondre ou tout du moins nous amener à une réflexion, différents orateurs sont venus nous parler de leur recherche ou transmettre leur point de vue.
Phioupanh Ngaosyvanth, docteur en ethnologie, a évoqué les temps subjectifs, les temps vécus, ici et ailleurs. Nicole Aubert, sociologue et psychologue, a travaillé sur les questions de l’urgence, du temps qui presse et qui passe, de notre rapport au temps et des conséquences sur notre rapport aux autres et à nous-mêmes. Le temps de la famille, c’est à dire les différentes périodes qui scandent la vie d’une famille sont rappelés par Marie Théault thérapeute familiale. Violaine Godart, médiatrice familiale, traitera du temps de l’attente, de la nécessaire « respiration » dans l’accompagnement social et thérapeutique, et Martine Laurence psychologue clinicienne, du temps du changement et de la maturation nécessaire à cette étape. Philippe Bouchez psychanalyste traitera du trauma et comment celui-ci fait irruption dans le mouvement du temps et le disloque. Des blocs de temps arrêtent le sujet et le forcent à la répétition. Les flux ne circulent plus, gonflent jusqu’à l’éclatement. Souvent impliqués dans les répétitions, les travailleurs sociaux peuvent tenter de relancer le mouvement.
Mais le temps passé auprès des familles c’est aussi du temps de travail et la question des contraintes sera abordée par Michel Foudriat sociologue.Il évoquera comment les acteurs au sein des organisations gèrent leur temps et les charges de travail. Patrick Viveret philosophe, et économiste, nous invitera à un véritable basculement culturel. L’enjeu : réinventer l’humanité pour mettre en marche des alternatives et tendre vers ce que nos amis d’Amérique du Sud appellent le buen vivir.
Et si nous commencions à vivre à la bonne heure ? Vivre le bonheur comme un art d’être à la bonne heure, c’est-à-dire vivre pleinement sa vie, sa relation à autrui et à la nature. Tel sera le discours de cet homme engagé.
Un moment fort aussi, celui des paroles de familles, retracées dans un film …. Leur temps emplis des rendez-vous de travailleurs sociaux, d’injonctions, de conseils, de partage…
Enfin une table ronde permettra aux intervenants d’aborder les temps institutionnels, le temps du juge, le temps de l’ASE, les contraintes des uns et des autres et la conjugaison de ces temps de partenariat.
Au terme de ces deux jours, Michel Billé sociologue, subtil « fil rouge » de cet événement, a conclu nos travaux et ces pensées dans une fable, tel La Fontaine,
Le délégué, le juge et le temps…
Un juge ayant eu connaissance
D’une drôle de situation
Décida en extrême urgence
D’une mesure de protection
Sous forme d’aide à la gestion
Du budget, car l’éducation
Passe parfois par le pognon.
« MJAGBF, dit-il
« Oui, je sais c’est assez subtil
« Mais je voudrais voir rapidement
« Comment vont faire les parents
« Si on les aide à mieux gérer
« Revenus, dépenses et budget.
« Car les enfants sont en danger
« A peine ont-ils de quoi manger
« Et tout l’argent est dépensé
« Avant d’avoir été gagné… »
Un délégué fut désigné
Qui, vite, alla se présenter
Aux parents super-endettés
Le mandat n’était que d’un an,
Il lui fallait gagner du temps…
D’ailleurs le temps c’est de l’argent…
En allant vite évidemment
Il leur ferait gagner d’l’argent
Mais les parents le contestèrent :
« J’ai pas de boulot, moi, dit le père,
« Et c’est pas en étant chômeur
« Que je vais trouver mon bonheur !
« Ils me l’ont dit à pôle emploi
« Du boulot, pour un type comme moi
« Y’en a pas, c’est pas compliqué !
« C’est simple, j’suis chômeur longue durée…
« Faut pas croire que j’suis en vacances
« J’fais des dettes, enfin des avances !
« Comment pourrait-on autrement
« Conserver notre appartement
« Et faire plaisir à nos enfants…
« L’argent ça s’gère quand on en a
« Ça s’dépense quand on en a pas… »
« C’est pas faux dit le délégué !
« Comment gérer ce qu’on n’a pas ?
« Quand t’es chômeur et qu’t’es fauché… »
Notre délégué vers le juge
Revint et suggéra : « Rien n’urge…
« La banque peut attendre un peu
« Pour elle ce ne serait qu’un jeu,
« Chauffage, EDF et loyer
« Peuvent bien un peu patienter
« J’vais réunir les partenaires
« Pour trouver l’art et la manière
« De retarder les échéances
« Et de leur donner une chance.
« Obtenir reports et délais
« Réorganiser le budget
« Et leur apprendre à mieux gérer…
Quand il se retira pensif,
Il se disait, dubitatif :
« Temps du juge et temps des parents
« Temps de l’urgence, temps des enfants
« De la patience et de l’oubli
« Temps des craintes, et temps des soucis….
« Temps des dettes et temps des affaires
« Temps du service, du délégué,
« Temps de travail et de congés,
« Temps du chômage, de la galère
« Et temps de rage, de la colère,
« Comment conjuguer tous ces temps
« Si vous n’men laissez pas le temps ? »
La morale de cette fable
Est plus gestionnaire que comptable
Plus on veut faire dans l’urgence
Plus on perd du temps… On dépense
Ses forces et son intelligence
Pour agir plus vite qu’on ne pense
Mais agir c’est d’abord penser
Ou bien ce n’est que dé-penser !
Et ça n’serait pas bien futé
Pour des gestionnaires mandatés…
Vous qui depuis longtemps savez :
Perdre du temps pour en gagner…
Michel Billé. Rouen 30/09/2014.